Le pari de la Senior Artist Colony de Burbank :Entrez en résidence de retraite et révélez l'artiste

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 La Senior Artist Colony de Burbank est une énigme immobilière de 141 appartements où habitent des actifs et des retraités de 55 à 100 ans qui souvent y revivent et s'y découvrent une vocation d'artiste. Des peintres chevronnés y enseignent leur art‚ des dentistes se muent en sculpteurs surréalistes. Une résidente a pris ses premiers cours de cinéma à 63 ans avant de scénariser et réaliser "Bandida"‚ un film diffusé depuis à la TV. La résidence est devenue le symbole américain de la retraite créative et de la stimulation intellectuelle comme antidote à la dépendance.

Connie Nichols‚ 86 ans‚ l'ancienne coiffeuse de Nathalie Wood et des plateaux de Hollywood‚ tout proche‚ Gene Schklair‚ un ex-dentiste de Chicago devenu globe-trotter‚ une directrice artistique octogénaire‚ l'aumônière d'un hôpital‚ Tim Carpenter‚ un travailleur social doublé d'un entrepreneur (seize résidences à son actif)… Le calme feutré de la Senior Artists Colony de Burbank inciterait un scénariste à y cadrer une énigme à la manière d'Agatha Christie. D'abord parce que les résidents ont de l'étoffe‚ un passé professionnel riche et diversifié.

Et puis‚ la résidence‚ un immeuble de trois étages et 141 appartements avec terrasses ou balcons‚ campé à deux blocs des studios Disney‚ comporte une bibliothèque confortable. Jessica Fletcher (l'héroïne d'Arabesques) pourrait venir y dénouer l'affaire.

A moins que l'on ne fasse appel – en voisin – au lieutenant Columbo. Gene Schklair‚ l'ancien arracheur de dents mis par l'asthme à la retraite‚ saurait parfaitement intégrer sa 403 à l'une de ses sculptures surréalistes.

La Californie a pour coutume de parquer ses vieux

Mais je pense que pour l'épilogue‚ Columbo choisirait le théâtre – avec scène et coulisses. Car les résidents se réunissent plusieurs fois par semaine pour les points d'actualité‚ concerts et conférences‚ spectacles avec des talents maison ou extérieurs.

Le scénario auquel je pense tournerait autour d'une affaire de création artistique. Et même l'inspecteur Clouzeau parviendrait à établir que le goût du spectacle et des arts plastiques constitue le fil rouge‚ le secret partagé des habitants de la colonie. Quel que soit leur univers d'origine‚ leur âge ou leur hobby. A chacun le sien et à tous une pratique créative commune. Elle se développe au gré des ateliers : écriture et théâtre‚ le lundi ; exercices anti-chutes et animation radio le mardi ; collages et cinéma le mercredi ; écriture créative‚ jazz et méditation‚ le jeudi ; yoga‚ débat d'actualité et ciné club‚ le vendredi ; photo‚ danse et informatique le samedi.

L'emploi du temps (facultatif) est parfaitement limpide mais la résidence resterait un mystère pour l'enquêteur le plus chevronné ; car la Californie a pour coutume de parquer ses vieux argentés dans des villages seniors bien gardés‚ à l'écart des villes et des autres générations. Elle a pour coutume de leur proposer du golf‚ de la natation et du poker derrière des murs barbelés. Or‚ ici‚ chacun se livre‚ en cœur de ville‚ à l'activité artistique de son choix.

Les pros aident les autres‚ animent des ateliers. Belle‚ la prof de collage‚ 88 ans‚ est une directrice artistique et une artiste réputée dont les œuvres sont éditées et cotées sur les sites de vente d'art.

2000 candidats en liste d'attente

"Elle dispose d'une belle maison sur les hauteurs d'Hollywood‚ mais‚ maintenant qu'elle est seule‚ elle préfère vivre ici‚ en ville‚ pouvoir échanger avec d'autres personnes‚ faire partager ses techniques"‚ complète Tim Carpenter‚ un quadra‚ ex-journaliste‚ devenu entrepreneur social et patron de l'association "More Than a Shelter" ("mieux et plus qu'un toit").
Tim est le créateur d'un véritable réseau de seize résidences seniors exaltant toutes un thème‚ une préoccupation distincte. La Senior Artists Colony de Burbank a fêté son deuxième anniversaire en 2006.

  • 141 couples et personnes de 55 à 100 ans y ont emménagé dès l'origine.
  • 2000 candidatures figurent en liste d'attente pour une création qui est un vrai mystère au pays de la rentabilité érigée en principe.

La construction du complexe résulte de la volonté commune d'une société de développement de projets immobiliers Meta Housing et de l'idée de Tim Carpenter : "Je me suis inspiré des "communes"‚ des habitats partagés des communautés beatniks du Danemark dans les années soixante." Ici‚ l'habitat partagé devient le garant de l'indépendance de chacun. Pas la peine de s'installer à Burbank si l'on rêve de solitude et de grands espaces : seuls des T1 et T2 sont à louer. Pas besoin non plus d'être un magnat.

Pas besoin d'être un plasticien renommé

L'Etat fédéral‚ la Californie et la ville ont aidé la réalisation par des incitations fiscales et des prêts à taux réduits. Résultat : 70% des logements sont commercialisés au prix du marché‚ soit de 1200 à 1800 euros et 30% réservés à des bas revenus avec des loyers mensuels de 400 à 500 euros‚ pour une situation prisée dans le centre branché de Burbank.
Pas besoin non plus d'être un plasticien renommé pour être accepté si un appartement se libère. "Jamais je n'aurais pensé atterrir si tôt dans une résidence pour seniors. J'y suis arrivée parce que j'avais été nommée comme chapelain dans un hôpital proche. Juste pour une question de proximité ; mais je n'ai plus envie d'en partir" confesse Liz‚ 57 ans‚ que j'ai rencontrée à l'atelier de collage de Belle. "Régulièrement des vocations naissent ici."‚ explique Tim. Une équipe de résidents a même scénarisé et filmé "Bandida". Le script a été écrit par Suzanne Knode‚ 63 ans. Suzanne‚ a commencé à suivre des cours de cinéma après son entrée à la résidence.
La vedette est Helen Miller‚ 81 ans‚ qui n'avait jamais ni joué‚ ni tenu un pistolet de sa vie. Pourtant‚ elle attaque une épicerie pour les besoins du film.
Mais un point l'avait mise en confiance : elle était coiffée par Connie‚ l'artiste qui avait préparé Nathalie Wood ("West Side Story") pour son mariage avec Robert Wagner ("Pour l'amour du risque").

A la découverte de soi

Le film a été projeté au centre culturel municipal. Il a aussi été diffusé à la télévision. Le discret Tim Carpenter anime lui même certains ateliers d'écriture. Mais‚ il n'a jamais mis l'accent sur la performance‚ plutôt sur la découverte de soi.
Et cette découverte peut avoir attendu le temps de la retraite pour se réaliser. "Ici‚ vous vous rencontrez et vous finissez par découvrir qui vous êtes réellement."
Le dentiste Gene Schklair‚ 76 ans‚ qui a emménagé avec Gloria‚ sa femme‚ au retour d'un tour du monde sac au dos‚ pratique désormais la sculpture à plein temps. Il peuple la résidence de créations surréalistes. Gene a même placé une vieille dame à chignon blanc genre "Psychose" (Hitchcock) devant une fausse porte ouvrant sur son image dans le hall de la maison.
Quand je l'ai vu‚ à la fin octobre‚ Gene Schklair sculptait des citrouilles pour Halloween et ne manifestait pas le moindre regret à l'égard de l'art dentaire. Mais‚ il a mis sa minutie au service d'une imagination débridée. En l'absence de concurrent‚ il a pu investir à temps plein l'atelier de sculpture.
Mais ceci ne l'empêche pas de participer aux dîners-barbecues hebdomadaires que Bobbee Zeno‚ le responsable d'animation‚ organise chaque mardi sur la terrasse. Bobbee‚ un grand costaud au chapeau de cuir vissé sur la tête‚ est aussi le producteur-animateur de deux émissions qui font un tabac auprès des 50+ californiens.

Pas d'odeur de détergent

En visitant‚ la résidence‚ j'ai vainement guetté l'odeur pharmaceutique ou de détergent‚ qui imprègne usuellement les résidences de retraite. La pratique artistique figure plus souvent que les potions sur les ordonnances en vigueur à Burbank. La créativité et le goût partagé pour une sollicitation soutenue des neurones suppléent aisément les antidépresseurs et les somnifères. "J'ai vu des gens arriver avec des regards de poisson mort puis je les ai vu revivre"‚ affirme Gene Schklair. A le voir s'activer‚ on le croit sans se demander davantage pourquoi le concept a été labellisé comme un modèle de "creative aging" par le National Endowment for the Arts en août 2006.
Cette création immobilière seniors due à l'idée et à l'énergie de Tim Carpenter n'est sûrement pas la panacée.
Est-elle même susceptible de s'exporter ? Pas sous toutes les latitudes. Surtout pas celles qui considèrent les résidences-retraites comme des silos à vieux en attente de paradis‚ le grand âge comme une maladie au progrès inexorable‚ et sa "médicamentation"‚ comme la seule issue admissible.
La maison est pourvue de plans inclinés‚ de couloirs aménagés avec main courante. Mais un dément sénile devra trouver asile ailleurs car elle n'est pas médicalisée.
L'objectif est même de retarder au maximum la confrontation de l'aîné avec la boîte à pharmacie.
"Les horizons perdus"‚ du romancier James Hilton (film de Frank Capra‚ 1937)‚ mettait en scène un groupe d'aviateurs qui avaient mis l'écoulement du temps entre parenthèses en atterrissant dans royaume isolé de l'Himalaya.
On serait presque prêt à croire que leur Shangri-La niche au 240 Verdugo Avenue.

Mieux même : on y a même vu des gens revivre et s'attaquer à la rédaction de leur autobiographie‚ comme Claire‚ une ex-cadre administratif. Jusqu'à ses 80 ans‚ elle avait pourtant cru sa vie entière dénuée d'intérêt.

Source Seniorscopie - Jean-Yves Ruaux

http://www.mtsfs.org/colony.html

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