On ne plaisante pas avec la retraite !

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On ne plaisante pas avec la retraite. C'est une chose précieuse, enviable et même désirée. Pour paraphraser quelqu'un qui ne l'envisage pas pour demain, nombreux sont ceux qui y pensent tous les jours, et pas seulement en se rasant. La retraite, c'est forcément doux et reposant, exaltant et vivifiant, une sorte de baume qui cicatrise les plaies de la vie active. La retraite, c'est de la ouate, du sucre. Des matinées qui s'étirent en peignoir moelleux ; des après-midi de farniente à lire Le Monde dans ses moindres recoins ; des soirées à se prélasser dans des bains nappés d'huiles essentielles pas si essentielles que ça.

La retraite, c'est un cap, un pic, un horizon, une ligne au lointain qui s'échappe et revient, qui nous nargue et nous subjugue. Disons-le : c'est une religion, un culte avec ses servants, ses dévots, ses pythies. Au point qu'il est devenu commun d'entendre : "Je pars en retraite !" ou encore "Il est parti en retraite." Erreur vénielle qui souligne une confusion entre l'action de se retirer du monde (avec un petit "m", cette fois) pour une méditation d'ordre spirituel et l'inaction professionnelle perpétuelle... Or le futur retraité n'aspire pas à se confondre en prière. Buller n'est pas prier ! Le retraité aspire au repos mérité - un repos festif, laïque et républicain. La semaine dernière l'a définitivement démontré : il n'y a qu'une retraite en France susceptible de déclencher la passion, propre à mettre le pays sens dessus dessous. La retraite par répartition répartie au mieux de ses intérêts.

Dans un petit livre de citations formidable paru voilà deux ans, le grand sinologue Simon Leys propose un florilège de ses phrases préférées. Voyons voir ce qu'il a bien pu trouver à "retraite". Voyons, voyons... "Réalité", "Rectitude", ah ! voilà :

"Retraite : Jubilación."

Magnifique, non ? Cela ne s'invente pas. Simon Leys, scientifique discipliné, donne ses sources : "Dictionnaire français-espagnol." L'espagnol ne peut pas mentir. Dans cejubilación-là se concentre tout le rêve de la retraite et son fantasme. Pas question de toucher à une once de ce nirvana à tous promis. Un jour ou l'autre, quand nous serons à la retraite, nous dormirons d'un sommeil entier et pur...

Le travail serait-il à ce point ennuyeux et pénible ? Simon Leys a l'air de le penser et le laisse dire par d'autres écrivains dans ce bréviaire intitulé : Les Idées des autres (Plon). Que lit-on à l'entrée "Travail" de ce dictionnaire ? Cela : "Le travail est encore ce que les gens ont inventé de mieux pour ne rien faire de leur vie." C'est signé Raoul Vaneigem, auteur en 1967 d'un Traité de savoir-vivre à l'usage des jeunes générations. Et cela : "Le travail est une infamie." C'est sobre, clair et net. Cela claque au vent, et c'est du Montherlant.

La citation suivante est lapidaire. C'est une invitation au calme. Malheureusement, nous devons en faire l'économie, car l'un des chics de cet ouvrage de 134 pages que l'on peut s'offrir pour la somme de 14 euros est de présenter les citations dans la langue où Simon Leys les a lues la première fois. Et là, c'est du chinois. Deux idéogrammes superbes auxquels il faut ici renoncer... Contentons-nous de la traduction : "Pas de zèle."

Sans aucun rapport avec ce qui précède, cédons encore une seconde au plaisir de citer Simon Leys qui cite Marcel Proust à propos de l'une de nos drogues dures préférées, la presse. Cela tient en une phrase : "Ce que je reproche aux journaux, c'est de nous faire faire attention tous les jours à des choses insignifiantes, tandis que nous lisons trois ou quatre fois dans notre vie des livres où il y a des choses essentielles."

Vrai ou faux, l'essentiel est de pouvoir le dire aussi dans un journal.

Source Le Monde - Laurent Greilsamer
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