Retraites : le gouvernement souhaite maintenir un avantage aux femmes

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Depuis 1971, les mères de famille salariées du secteur privé peuvent avancer leur départ de plusieurs années tout en conservant le même niveau de pension : qu'elles aient ou non interrompu leur activité professionnelle, elles bénéficient automatiquement d'une "majoration de durée d'assurance" de deux ans par enfant. Pendant près de quarante ans, ce système d'inspiration nataliste a servi à compenser les inégalités professionnelles entre les hommes et les femmes.

Mais l'Europe, très sourcilleuse sur le principe de l'égalité des sexes, a mis à bas cet édifice : s'appuyant sur la Convention européenne des droits de l'homme, qui proclame l'égalité hommes-femmes, la Cour de cassation a estimé, dans un arrêt rendu le 19 février, que ces majorations ne pouvaient être réservées aux seules femmes. Au nom de ce principe, un père de famille de Nantes s'est vu, comme les mères, attribuer un bonus.

En vertu de cette jurisprudence, tous les pères de France peuvent s'adresser à la justice afin de bénéficier d'une majoration de deux ans par enfant. Pour éviter que ce mouvement ne fasse vaciller les caisses de retraite, le gouvernement a décidé de réformer les majorations au plus vite : plutôt que d'attendre le rendez-vous sur les retraites de 2010, Xavier Darcos souhaite modifier le système dès l'automne, dans le cadre du projet de loi de financement de la Sécurité sociale.

Le sentier est étroit : pour éviter une nouvelle condamnation européenne fondée sur le principe de l'égalité des sexes, le gouvernement doit éviter d'attribuer automatiquement la majoration aux mères de famille. Mais il ne veut pas renoncer pour autant à donner un coup de pouce aux femmes, qui abordent souvent la retraite en situation de fragilité : en 2004, elles touchaient en moyenne une pension de 1 020 euros contre 1 636 euros pour les hommes.

Ces écarts reflètent les inégalités qui perdurent sur le marché du travail. Les salaires des femmes restent inférieurs de 27 % à ceux des hommes - 16 % si l'on se réfère au salaire horaire - et leurs carrières sont discontinues : parce qu'elles consacrent 2,4 fois plus de temps que les hommes au travail domestique et 3,3 fois plus à l'éducation des enfants, beaucoup s'éloignent de leur activité professionnelle après une naissance, ce qui les pénalise lors de la retraite.

A partir du lundi 31 août, Xavier Darcos recevra donc les syndicats, le Medef et l'Union nationale des associations familiales (UNAF) afin de dessiner les contours d'une réforme. La CGT a prévenu qu'elle demanderait le maintien du système actuel. "Pour éviter une condamnation européenne, il suffit de rattacher le bonus non plus à l'éducation de l'enfant - une tâche partagée entre pères et mères - mais à la maternité, une spécificité féminine", affirme Mijo Isabey, conseillère confédérale. Beaucoup de juristes restent cependant sceptiques à l'idée que la grossesse puisse, aux yeux du droit européen, justifier à elle seule un bonus de deux ans.

L'une des pistes envisagées consisterait donc à scinder le bonus en deux. La première partie reviendrait automatiquement aux mères : la justice européenne accepterait sans doute qu'elle soit réservée aux femmes à condition qu'elle soit fondée sur la grossesse et qu'elle ne dure pas plus de six mois, voire un an. La seconde partie, en revanche, serait attribuée à l'un ou l'autre des parents, sans exclusive, afin d'éviter toute discrimination.

Reste à savoir à qui l'attribuer. Force ouvrière et la CFDT préféreraient confier la décision au couple, peu après la naissance, comme dans les pays nordiques. "Cela incitera les hommes à s'investir plus fortement dans l'éducation de leurs enfants", espère Jean-Louis Malys, secrétaire national de la CFDT. En cas de désaccord entre les parents, FO souhaiterait que le bonus aille automatiquement à la mère, la CFDT à celui qui dispose du plus petit salaire.

Cette solution séduit la présidente (CFE-CGC) de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV), Danièle Karniewicz. "C'est une manière moderne et dynamique d'envisager le couple, note-t-elle. Pour les enfants à naître, il n'y aura sans doute pas de problème, puisque la décision sera prise peu après l'accouchement. Mais pour les parents qui ont 60 ans, ce sera plus difficile : ils devront se répartir le bonus trente ans après la naissance, alors que certains sont séparés ou ne se voient plus."

Le gouvernement devra également trancher un point important : conditionnera-t-il l'octroi de cette deuxième partie du bonus à une longue interruption de travail - un congé parental, par exemple ? Inspirée du système mis en place en 2003 dans la fonction publique, cette disposition exclurait mécaniquement toutes les femmes qui ont choisi, après une naissance, de poursuivre leur activité professionnelle.

Pour FO et la CFDT, pas question d'accepter un système qui inciterait les mères à rester au foyer. "Ce serait un gros recul, avertit Bernard Devy, secrétaire confédéral de FO. Aujourd'hui, les mères qui se maintiennent sur le marché du travail bénéficient du bonus de deux ans : il n'y a aucune raison qu'elles en soient privées demain." "Nous y sommes fortement opposés, renchérit Jean-Louis Malys, à la CFDT. Il faut au contraire éviter que les femmes s'éloignent trop longtemps du marché du travail."

Source Le Monde

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